L’Algérie traverse une période difficile pour la liberté d’expression, marquée par une violence institutionnelle inédite contre ses intellectuels. Les cas récents de Kamel Daoud et Boualem Sansal illustrent une dérive autoritaire où la justice devient un instrument de répression, et l’accusation publique se transforme en condamnation sans procès équitable.
Kamel Daoud : cible d’une campagne de harcèlement politique et judiciaire
Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, fait l’objet d’une offensive du pouvoir algérien. Son crime ? Avoir écrit sur la décennie noire, cette guerre civile en Algérie entre 1992 et 2002, dont le souvenir reste tabou sous la loi de « réconciliation nationale » qui interdit toute évocation critique de cette période. Pour avoir brisé ce silence, Daoud est aujourd’hui visé par deux mandats d’arrêt internationaux émis par la justice algérienne, accusé de « trahir son pays » et de « fragiliser l’État » par ses écrits.
Il subit une avalanche de plaintes en Algérie et en France pour « atteinte à la vie privée » et « violation du secret médical », suite à la plainte d’une femme l’accusant d’avoir utilisé son histoire dans son roman. Mais l’attaque ne s’arrête pas à la sphère judiciaire : dans la presse et sur les réseaux sociaux, Daoud est accusé sans nuance, sans preuve, de crimes aussi graves que le viol, dans une confusion totale entre faits et fiction, entre justice et vengeance populaire.
« Il est facile de me faire dire ce que je n’ai pas dit, de me maltraiter, de m’exiler, de me décapiter », déplore Daoud, qui vit désormais en France après avoir résisté aussi longtemps que possible à l’étouffement du débat intellectuel en Algérie.
Boualem Sansal : la prison pour ses idées
Le cas de Boualem Sansal, une figure de la littérature algérienne, est emblématique. En mars 2025, il a été condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à la sécurité de l’État ». Il paie cher son droit à la parole et sa dénonciation du régime et de l’intégrisme religieux. Sa condamnation, dans une tradition de répression des écrivains en Algérie, marque un recul pour la liberté d’expression et la mémoire culturelle du pays.
Un environnement de crainte et de censure
L’actualité en Algérie dépasse la simple affaire judiciaire. C’est l’instauration d’un climat de peur, où la moindre parole dissidente peut valoir l’exil, la prison, ou la diffamation publique. Les écrivains, démunis face à la machine répressive, deviennent des cibles faciles. « Nous n’avons pas d’avions, pas de prison, pas de police secrète. Je ne terrorise personne, j’écris », rappelle Daoud.
Instrumentalisation de la justice et acharnement
L’acharnement contre Kamel Daoud ressemble à un harcèlement judiciaire, avec des plaintes et des poursuites multiples, y compris en France, où le pouvoir algérien tente d’exporter sa logique de censure. Daoud dénonce cette instrumentalisation de la justice, qui vise à briser toute voix indépendante et à envoyer un signal inquiétant aux intellectuels algériens : « Le régime est dur. Vous signez, vous le payez. Il y a la peur. »
Depuis l’indépendance, la violence institutionnelle contre les intellectuels a atteint un tel degré. L’affaire Daoud et celle de Sansal déterminent la possibilité d’un espace de parole libre, d’une mémoire partagée, d’une littérature qui interroge le passé pour éclairer le présent. Face à cette répression, la solidarité internationale et la vigilance des sociétés civiles sont nécessaires pour défendre le droit de penser, d’écrire et de critiquer.