Dans le théâtre géopolitique nord-africain, une nouvelle forme de conflit se dessine entre le Maroc et l'Algérie. Loin des affrontements armés traditionnels, c'est sur le terrain de l'information et de l'influence que les deux pays s'affrontent désormais. Au cœur de cette bataille : la réorientation des routes commerciales de l'Alliance des États du Sahel (AES).
L'analyse de Jean-Luc Beteba Moum (MSIE44 de l'EGE) souligne que la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) traverse une période de turbulences géopolitiques marquée par plusieurs coups d'État militaires. Dans ce contexte, l'Algérie et le Maroc, en tant que pays voisins disposant d'une façade côtière et d'infrastructures de qualité, jouent un rôle crucial dans cette réorientation, chacun avec des motivations économiques et politiques distinctes. Les routes privilégiées sont l'utilisation du corridor de Tamanrasset en Algérie et l'utilisation de la route transatlantique via la Mauritanie et le corridor Nouakchott-Tanger au Maroc pour accéder aux ports méditerranéens.
Cette lutte d'influence, subtile mais acharnée, révèle les enjeux stratégiques et économiques cruciaux pour la région.
Le Maroc, fort de son Initiative Atlantique, met en avant ses infrastructures modernes et ses investissements massifs dans les réseaux routiers, portuaires et ferroviaires. L'objectif est clair : séduire les pays de l'AES en se positionnant comme le partenaire incontournable pour le développement économique de la région. De l'autre côté, l'Algérie ne reste pas inactive. Elle propose la route transsaharienne comme alternative, cherchant à contrecarrer l'influence marocaine grandissante.
Cette compétition se traduit par une guerre des mots et des perceptions. Le Maroc n'hésite pas à critiquer ouvertement ce qu'il qualifie "d'ingérence étrangère" dans les affaires des pays du Sahel, une allusion à peine voilée à l'Algérie. Cette rhétorique vise à présenter le royaume chérifien comme un partenaire plus respectueux de la souveraineté des nations sahéliennes, tout en discréditant l'approche algérienne.
Les deux pays rivalisent d'ingéniosité pour promouvoir leurs projets respectifs. Le Maroc a ainsi organisé le Morocco Today Forum à Dakhla, une ville du Sahara Occidental, pour mettre en lumière son Initiative Atlantique. L'Algérie, quant à elle, a reçu en grande pompe le ministre des affaires étrangères du Niger à Alger, l'occasion de discuter de la coopération bilatérale, notamment autour de la route transsaharienne.
Cette guerre de l'information ne se limite pas aux discours et aux conférences. Elle a des répercussions concrètes sur le terrain économique. La Mauritanie, après s'être rapprochée de l'Algérie, a imposé des taxes douanières sur les produits importés du Maroc, entravant ainsi le projet marocain de corridor routier vers le Sahel. Un coup dur pour Rabat, qui illustre l'efficacité de la stratégie d'influence algérienne.
Cette bataille médiatique et diplomatique entre le Maroc et l'Algérie pour le contrôle des routes commerciales sahéliennes révèle l'importance croissante de l'information dans les relations internationales. Les deux pays ont bien compris que la victoire se joue désormais autant sur le terrain des perceptions que sur celui des réalités économiques. Dans ce contexte, la maîtrise de l'information devient un outil de puissance aussi important que les ressources naturelles ou la force militaire.
Alors que cette guerre de l'influence bat son plein, une question demeure : qui sortira vainqueur de cette bataille sans merci ? La réponse dépendra probablement de la capacité de chaque pays à convaincre non seulement les dirigeants, mais aussi les populations des États du Sahel. Car dans cette nouvelle forme de conflit, l'opinion publique devient un champ de bataille à part entière.