Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, le Bureau central d'investigations judiciaires (BCIJ) du Maroc dresse un bilan préoccupant de la situation sécuritaire dans la région sahélo-saharienne. Depuis sa création en 2015, ce service dirigé par Cherkaoui Habboub a démantelé 101 cellules terroristes, dont 93 liées à Daech, et traduit près de 2000 personnes en justice.
La zone sahélienne est devenue un refuge privilégié pour diverses organisations terroristes, notamment Daech, AQMI et le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM). "Le Sahel, vaste et difficile à contrôler, abrite désormais environ 100 individus affiliés au Polisario qui ont rejoint ces groupes terroristes", révèle Habboub, soulignant la dangereuse convergence entre séparatisme et djihadisme.
Les camps de Tindouf représentent un foyer particulièrement sensible de radicalisation. "Cette zone constitue un lieu de repli par excellence des opérationnels du JNIM, où les jeunes sont particulièrement vulnérables au recrutement par des groupes extrémistes", explique le directeur du BCIJ. Cette situation a été notamment illustrée par le parcours de l'ancien leader de l'État islamique au Grand Sahara, Adnan Abou Al Oualid Sahraoui, qui avait débuté au sein du Polisario avant de basculer dans l'islamisme radical.
Le phénomène du cyber-endoctrinement représente aujourd'hui un défi majeur pour les services de sécurité marocains. Les organisations terroristes exploitent les technologies numériques pour leur propagande, utilisant des plateformes chiffrées et le darknet pour cibler des individus vulnérables. "L'embrigadement concerne désormais principalement des mineurs ou des jeunes adultes via Internet", précise Habboub, notant que 43 mineurs et 14 femmes ont été interpellés depuis la création du BCIJ.
Face à ces menaces, le Maroc a développé une approche globale combinant sécurité et encadrement religieux. Le royaume s'appuie notamment sur le Conseil supérieur des oulémas et l'Institut Mohammed VI pour la formation des imams pour promouvoir un islam modéré et contrer les discours extrémistes. Cette stratégie, mise en place après les événements de 2003, s'inscrit dans une vision à long terme de prévention de la radicalisation.
Les profils des personnes radicalisées se sont diversifiés, rendant plus complexe leur identification. Si la majorité des personnes interpellées ont entre 18 et 30 ans, le phénomène touche désormais aussi bien les zones urbaines que rurales, et concerne des individus de tous niveaux d'éducation. Cette évolution témoigne de la capacité d'adaptation des groupes terroristes et de la nécessité d'une vigilance constante des services de sécurité.